chronique d’un échec annoncé – SNALC (2024)

Les enseignants de terrain avaient prédit les impasses du BUT notamment avec plusieurs tribunes publiées dans la presse mais ils n’ont guère été écoutés par une technocratie autoritaire. Selon Spinoza, l’idée vraie n’a pas de force intrinsèque. Elle n’a pas résisté au rouleau compresseur de la technocratie universitaire qui conçoit les enseignants comme des petit* robots au service d’une gouvernance par les nombres.

Le bilan du BUT au terme de trois années d’application n’est guère reluisant.

Ce diplôme Bac+3 n’est pas toujours reconnu par des écoles d’ingénieurs et des IAE en raison de sa faible texture universitaire. Par exemple, les IAE acceptent d’accueillir les BUT 2 souhaitant effectuer une L3 chez eux avant un master, mais n’admettent les BUT 3 que de manière exceptionnelle et dérogatoire. Le conseil d’administration de l’ADIUT a considéré cette position comme incompréhensible et incohérente au lieu de battre sa coulpe en proposant une troisième année avec une coloration plus universitaire. Cet objectif devrait d’ailleurs concerner l’ensemble du BUT. Lorsque le programme du BUT TC mentionne l’étude de la législation applicable à «la gestion des chariots», l’universitaire ne sait plus s’il doit rire ou pleurer.

Egalement, le BUT est une usine à gaz qui décourage les enseignants de terrain. Malgré une regrettable baisse substantielle du volume horaire par année d’enseignement au regard du DUT, la réalisation des emplois du temps du BUT est d’une rare complexité avec des maquettes trop complexes et des durées de stage trop longues. Les TP sont souvent remplacés par des TD faute de place dans les emplois du temps alors qu’ils avaient été mis en exergue par les partisans du BUT.

On aboutit à l’absurde au sens de Camus et des enseignants des IUT choisissent de faire leurs heures supplémentaires dans d’autres UFR. Au surplus, les vocations de chefs de département ou de responsables pédagogiques se font rares face à l’usine à gaz du BUT. Par ailleurs, les collègues de BTS sont désormais moins enthousiastes pour être mutés à l’IUT.

Par ailleurs, le nom de Bachelor n’est pas pertinent car il est une source de confusion avec des formations privées. Une récente mission d’information sur l’enseignement supérieur regrette cette confusion. Encore une erreur qui aurait pu être évitée par les créateurs du BUT.

Les partisans de la réforme répondront que beaucoup d’étudiants s’inscrivent en BUT. Tant mieux mais ce diplôme bénéficie de la réputation du DUT qui avait trouvé un équilibre entre la logique universitaire et la logique professionnelle. Le BUT ressemble à un bac pro +3 et les miroirs déformants des stratégies de communication risquent à moyen et long terme de ne pas suffire.

Le BUT est fondé sur la logique du nihilisme déconstructionniste. Ses partisans au mépris de la rigueur scientifique, fondée notamment sur la validation empirique, considèrent que «tout se vaut»; «tout est relatif». Ainsi selon eux, les savoirs acquis en stages peuvent remplacer les savoirs acquis en cours; la baisse du volume horaire est quasiment neutre; les projets transversaux peuvent se substituer aux cours etc. Sur ce dernier point, rappelons qu’un bon musicien doit apprendre à lire une partition avant de jouer de la musique. En conséquence, les projets devraient commencer seulement en S2.

Ce nihilisme déconstructionniste a démontré sa nocivité lors des réformes passées du bac pro et du BTS. Einstein disait «la folie, c’est de faire toujours la même chose et de s’attendre à un résultat différent».

Ces réformes passées ont engendré une baisse du niveau que chacun peut constater mais peu importe car précisément la motivation inavouée de la réforme est d’augmenter les taux de réussite en baissant le niveau et en faisant des économies.

La réforme du BUT est récente mais elle est déjà surannée car ses piliers sont aujourd’hui dénoncés: la baisse du niveau des étudiants et une logique technocratique qui étouffe les enseignants de terrain.

Les enseignants de terrain sont lassés de recevoir des leçons de pédagogie de la part des concepteurs de la réforme. Ces derniers font rarement un service à temps plein face aux étudiants. Les décharges d’enseignement devraient être limitées dans le temps (par exemple 10 ans) au cours d’une carrière d’enseignant afin d’éviter une déconnexion de la technocratie à l’égard du quotidien des enseignants de terrain.

Il n’y aura pas de sursaut des universités et des IUT sans une réforme de leur gouvernance.

La réforme du DUT a illustré l’insuffisante représentativité de l’ADIUT qui aujourd’hui est une association de droit privé. Le président de l’ADIUT, par la voie d’une élection au suffrage (très) indirect, est trop éloigné des enseignants de terrain.

Il faut reconnecter les enseignants de terrain à leurs représentants afin d’éviter qu’une minorité impose une réforme à la majorité comme ce fut le cas avec le BUT. Il aurait d’ailleurs été intéressant qu’un référendum auprès des enseignants de terrain soit réalisé lors de la réforme du BUT.

Il serait légitime qu’un arrêté du ministère revoie le statut et la gouvernance des IUT en imposant l’élection du directeur de l’ADIUT et celle de son exécutif par les personnels de l’IUT (personnel enseignant et personnel administratif) et les représentants des étudiants lors d’un scrutin de listes. Il faut donner une coloration plus démocratique à l’ADIUT.

Les IUT n’ont pas vocation à servir de tremplin pour obtenir des postes au sein des ministères, des rectorats ou ailleurs. L’économiste Galbraith a dénoncé depuis longtemps le risque d’une maximisation de leur propre intérêt par les membres de la technostructure.

Une nouvelle gouvernance offrira des lendemains qui chantent aux enseignants de terrain. Le BUT sera réformé dans une logique plus démocratique et moins technocratique.

Il deviendra alors possible de simplifier le BUT avec une démarche participative. Par exemple, les équipes pédagogiques devraient avoir une réelle autonomie pour déterminer en partie les programmes dans le cadre d’une nouvelle adaptation locale.

Aujourd’hui, les équipes pédagogiques n’ont pas la possibilité de supprimer une matière dans le cadre de l’adaptation locale pour augmenter le volume horaire des autres. Il y a pourtant des difficultés pour recruter certains profils alors que d’autres sont disponibles. Aujourd’hui, les matières sont trop souvent dotées de volumes horaires insuffisants (parfois 10 ou 15H).

Il faudrait aussi revoir la distinction entre les sous-commissions et les jurys des IUT. Les enseignants qui ont eu en cours les étudiants doivent être décisionnaires en dernier ressort. Le rôle d’un jury de l’IUT devrait être cantonné à un contrôle de légalité et non pas d’opportunité. Cela limiterait le risque de faire passer des étudiants pour embellir les statistiques.

Ces exemples ne sont pas exhaustifs car il y a tant à faire (redonner une coloration universitaire au BUT afin de le dissocier d’un bac pro+3, ne plus sacrifier les connaissances sur l’autel des compétences, revoir la durée des stages etc.).

En bref, il faut à l’avenir interdire des réformes cyniques dans leurs moyens (méthodes peu démocratiques) et leurs fins (dévalorisation des diplômes au détriment des classes populaires).

chronique d’un échec annoncé – SNALC (2024)
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